En 2017 les Éditions du Stock ont initié une série de livres de divers auteurs qui ont passé une nuit, seuls dans un musée. Entre eux figure aussi Kamel Daoud avec „Le peintre dévorant la femme“, en allemand „Meine Nacht im Picasso-Museum“. Deux ans plus tard, en avril 2019 Leïla Slimani a également participé au projet. Son éditrice l’a invitée à interrompre son travail à sa trilogie «Le pays des autres». Elle s’est donc rendue au Museo Punta della Dogana à Venise, acquis en 2007 par le milliardaire François Pinault qui l‘a fait changer en musée d’art et a écrit ce roman-essai en 2021.
Dans son œuvre Slimani explique sa position face à l’art. Elle constate, guidée par les réflexions d’Etel Adnan que l’art et la littérature sont en étroite relation: Elle voyait l’écriture et la peinture comme deux disciplines sœurs, se nourrissant l’une l’autre. p. 60
L’écriture, ou mieux la créature littéraire, c’est le thème qui domine sa recherche et elle conclut qu’ «Écrire, c’est jouer avec le silence, c’est dire, de manière détournée, des secrets indicibles dans la vie réelle» (résumé sur la jaquette)
Nous apprenons qu’écrire demande la solitude, la réclusion même, et beaucoup de discipline, le tout uni avec la liberté d’être soi. Elle nous attribue, à nous lecteurs, la tâche de faire du livre un objet d’art, de nous y rechercher et de refaire une partie du travail de l’auteur.
A la page 119 elle dit que « La littérature ne sert pas à restituer le réel, mais à combler les vides, les lacunes.»
Le lieu de cette ancienne maison de douane, est symbolique: c’est l’entre-deux des civilisations de…l’Empire italo-germanique et le monde arabe ou byzantin. Cité cosmopolite s’y côtoyaient les Juifs, les chrétiens et les Maures. p.128. Il est représentatif pour le destin de Slimani, elle-même déchirée entre deux cultures.
Quand elle décrit les objets d’art qu’elle rencontre lors de sa tournée au musée, elle déclenche des réminiscences de sa jeunesse à Rabat, des nuits effrénées qu’elle a passées comme jeune fille, mentionnant entre parenthèse que son nom signifie «nuit» en arabe. Il n’est donc pas surprenant qu’un autre thème majeur est la recherche de sa propre identité.
C’est d’ailleurs un des moyens stylistiques dont témoigne l’œuvre: Les contrastes entre p.ex. le tourisme de masses et la solitude dans le musée, l’Orient et l’Occident, etc. Cela revient à un symbole pour le changement, pour la tentative de tout inverser, symbole qui est incorporé par l’arbre qui a donné le titre au roman: Le galant de la nuit, une plante qui ne dégage son parfum odorant que par la nuit. Par une installation sophistiquée, un artiste a inversé le processus et les visiteurs peuvent profiter de son parfum.
Et pour finir c’est ce qui reste de son voyage à son profond intérieur, de son itinéraire littéraire à travers plusieurs sujets étroitement liés aux expériences de cette nuit au musée: le parfum des fleurs la nuit.
Bilan: Un livre qui nous montre beaucoup d’aspects des «faux Français», des Maghrébins qui vivent en France, un livre qui ouvre nos yeux pour les peines des écrivains et qui nous montre que nous devons regarder toute œuvre d’art avec nos propres yeux